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Maison Saint-Cyr

Les aménagements intérieurs sont dessinés dans l'esprit et en fonction des rythmes dictés par le travail de Gustave Strauven.

Derrière l’une des plus célèbres façades Art nouveau de Bruxelles, la maison de Saint-Cyr dévoile un surprenant intérieur éclectique.

Dès l’origine, les décors Art nouveau côtoient un style néo-Renaissance flamande, Louis XVI ou Empire, et cette succession chronologique de styles se dotera d’appropriations culturelles « exotiques », conçues comme des ponctuations dans le cheminement.

Comme le prévoit la composition classique de trois pièces en enfilades des maisons bruxelloises, le bâtiment est articulé de part et d’autre d’une grande cage d’escalier, éclairé par une verrière, créant ainsi un véritable puits de lumière. Cette structure permet non seulement d’apporter le jour aux pièces connexes au moyen de baies, mais également de créer une respiration et une échappée verticale, allégeant ainsi l’effet de confinement que confère cette parcelle, particulièrement étroite du quartier des squares.

Cela étant, au fil du temps et des occupations successives du lieu, ces espaces aux ambiances sensiblement différentes se sont vus agrémentés de strates supplémentaires, brouillant parfois la lecture ou dissimulant totalement son essence.

Heureusement en 2008-2009, la façade a fait l’objet d’une restauration menée par le bureau Sum offrant de nouveau au public l’aspect originel supposé. Ensuite, lorsque le propriétaire actuel a acquis la maison au milieu des années 2010, une seconde campagne de restauration plus en profondeur a pu être menée.

Réputé pour son expertise en matière patrimoniale, c'est le bureau Ma² qui a accompagné le maître d’ouvrage tout au long du processus de restauration de l’intérieur, des toitures, de la façade arrière ainsi que des espaces extérieurs.

La révélation des études préalables

Bien que des informations importantes aient été révélées par les études menées par l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA) ainsi que par les historiens de l’architecture Olivier Berckmans (dès 2003) et Carlo R. Chapelle, de nombreuses interrogations subsistaient. Les détails du projet achevé en 1903 sont peu connus, les documents attestant de l’état final de la maison n’ayant pu être retrouvés. Le travail de comparaison des archives entre l’avant-projet et le projet, ainsi que leur mise en corrélation avec les résultats de sondages stratigraphiques de l’IRPA ont néanmoins permis de retracer l’évolution de la construction. Une seconde campagne d’analyses mit au jour de nouvelles données stratigraphiques et les recherches historiques supplémentaires permirent d’en apprendre un peu plus sur le personnage de Gustave Strauven, dont un unique portrait a été découvert. Un relevé dimensionnel précis ainsi qu’une étude des pathologies du bâti alimentent, quant à eux, le recueil de connaissances du lieu.

Une maison particulière

Gustave Strauven est encore jeune architecte lorsqu’il entreprend le projet de conception d’un hôtel de maître pour le compte de l’artiste peintre Georges Léonard de Saint-Cyr et son épouse. Bien qu’ayant fait ses classes auprès de Victor Horta, on sent dans la réalisation de cette maison, au-delà des entrelacs spectaculaires des ferronneries – s’éloignant d’ailleurs du travail d’Horta – ou de la délicatesse de l’approche circulatoire, une certaine candeur dans les détails. On trouvera, d’ailleurs, grâce au démontage précautionneux des décors, les détails d’assemblages dessinés à même les murs, comme autant de décisions prises au vif en cours de chantier.

Georges Léonard de Saint-Cyr ne vécut que quelques années dans cette maison du square Ambiorix (1903-1909), mais son nom est resté attaché à l’immeuble malgré les passations d’occupation. C’est au cours des 45 années suivantes (1909-1954) que des transformations majeures ont été apportées au lieu, tant au niveau du confort (eau courante, électricité, téléphone) qu’au niveau décoratif. Le salon Louis XVI/Empire a pris des tonalités orientales chinoises chères au propriétaire de cette époque. L’Art Déco des années 1930 a teinté la grande chambre à coucher, modifiant les cloisonnements initiaux. Plus tard, le style japonisant du hall principal fut dissimulé derrière un décor plus sage, les papiers peints furent recouverts et les couleurs mises au goût du jour. Il a parfois été possible de dater très précisément l’une ou l’autre intervention grâce aux traces laissées par les intervenants : un journal utilisé comme couche de préparation ou comme emballage d’une boîte à tartines retrouvée entre les planches…

Les interventions successives laissent souvent des traces grâce auxquelles nous sommes parfois en mesure de reconstituer l’état initial ou le premier état connu et jugé intéressant de certaines pièces tandis que, pour d’autres, les vestiges sont à ce point sporadiques qu’une intervention relèverait plus de l’invention que de la reconstitution. C’est le cas, par exemple, de la pièce accueillant le Salon chinois qui ne retrouvera pas son décor classique, de même que certains décors néo-Renaissance flamande de la salle à manger ou encore des cheminées ayant désormais disparu.

« Mieux vaut consolider que réparer, réparer que restaurer, restaurer que construire. »

La restauration comme héritage

Le programme du maître d’ouvrage pour la maison qui deviendra, à terme, son habitation personnelle, laisse une grande liberté puisque ne dérogeant en rien à la destination première du lieu. Néanmoins, l’habitabilité d’autrefois n’étant plus celle d’aujourd’hui, certains aménagements, nécessaires au bon usage et au confort des occupants, sont indispensables. Cela demande une intégration judicieuse et responsable dans un bâtiment et une histoire qui perdurera bien longtemps après notre intervention, qui devra donc être réversible. Les restaurations ou restitutions sont conçues et appliquées de manière à être à la fois identifiables pour un œil averti, et presque insaisissables lorsqu’elles s’offrent au regard.

« Mieux vaut consolider que réparer, réparer que restaurer, restaurer que construire. » Cette philosophie de restauration, bien qu’étant le fil rouge de chaque décision prise pour le projet, est sans cesse remise en question par la nature même de l’objet. Une zone semblant ne nécessiter qu’un entretien peut parfois révéler de réels enjeux de restitutions, alors que l’état général d’une autre partie est plus optimiste qu’initialement perçu. La phase préalable des démontages aux fins des différents relevés a permis de révéler de nombreux décors, oubliés derrière des années d’interventions.

Ainsi au rez-de-jardin, la grande salle polyvalente (nouvelle fonction de l’ancienne salle à manger) retrouve sa symétrie avec la restitution d’un grand châssis intérieur, dont le pendant, toujours en place, a servi de modèle pour sa reproduction à l’identique. La cheminée ronde retrouve sa finition originelle, en briques vernissées vertes, grâce à un dégagement manuel précautionneux réalisé par des artisans restaurateurs spécialisés. Ces mêmes briques composent également le motif des voussettes, à nouveau visibles.

Le long des murs mitoyens dans cette pièce, un lambris de composition relativement sobre était en fait peint d’un vert puissant et couvert d’un glacis donnant toute sa profondeur à la composition générale. Le tout était rehaussé d’un papier peint gaufré à fond vert et motif bronze. Malgré les faibles quantités de ce papier retrouvées sur place, le motif a pu être reconstitué et la partie supérieure de la pièce en être revêtue. Au sol, les granitos sont réparés, restaurés et, par endroit, reconstitués d’après les teintes et compositions d’origine, permettant ainsi à la pièce de retrouver sa cohérence globale. 

En termes de restauration, certains choix de Gustave Strauven – ou ceux de Monsieur de Saint-Cyr ou bien encore des artisans appelés pour ce travail ? – peuvent surprendre. Les teintes mises au jour par les études stratigraphiques, la concordance entre un soubassement appareillé de carreaux de verre blanc et turquoise d’une part et, d’autre part, un papier peint à motif floral, peuvent à priori générer un questionnement sur la correspondance entre ces éléments. En tant qu’architecte restaurateur, il n’est pas de notre responsabilité de gommer ces incongruités, mais au contraire de les assumer comme autant de témoignages d’une époque qui n’est plus la nôtre.

La multiplicité des styles des décors (néo-Renaissance flamande, Chinoiserie début XXe siècle, Art nouveau, Art Déco, classique, néo-Empire, etc.) et la variété des supports (bois, stuc, pierre, papier, faïence, entre autres) supposent souvent l’implication de plusieurs corps de métier pour une seule et même composition. Ainsi dans le salon néo-Renaissance flamande du bel étage, les lambris ouvragés côtoient une cheminée parée de carreaux de Delft, un papier gaufré aux motifs particulièrement délicats, ou encore des vitraux pourvus des armoiries de la famille de Saint-Cyr. De la même manière, le vrai chêne des lambris ou du parquet est imité sur les décors en relief du plafond.

Les témoins qui nous sont parvenus sont autant de marqueurs renouvelés de la vie du bâtiment.

Dans la grande cage d’escalier, la restauration du vitrail a nécessité sa dépose complète pour le travail en atelier. Afin d’assurer sa pérennité, un contre-lanterneau se conformant aux nécessités actuelles a été placé en toiture et assure ainsi l’éclairage diurne de la cage d’escalier et des couloirs suspendus. Les décors en stuc sur bois manquants ont été complétés grâce à des moulages et reconstitués in situ. Afin d’assurer la transposition, ceux-ci sont appliqués au moyen d’une fine feuille de papier japonais, puis retravaillés. Pour reconstituer les cartons-pierres, on a également utilisé la technique du moulage, mais le restaurateur de papier peint a dû fabriquer un contretype en atelier. 

Le décor japonisant de l’entrée principale, dont des traces ont été retrouvées au plafond, a été reconstitué. Par contre, les trop faibles quantités de motifs du papier peint ne permettent pas d’extrapoler ou de retrouver une référence similaire. Dès lors, un papier simple peint dans la teinte retrouvée a été mis en place. De la même façon, de la cheminée ne subsistaient que quelques traces au sol. Ainsi, plutôt que d’installer un élément hétéroclite, le décor de lambris a été poursuivi, mais mis en place de manière réversible. Il pourra être démonté facilement, dans le cas où une découverte documentaire ultérieure permettrait une reconstitution historiquement fidèle.

Les faïences murales constituent toujours un défi particulier, l’adhésion au support rendant le démontage délicat. Ici les faïences et frises de l’ancienne salle de bain ont pu être démontées et réutilisées avec le calepinage d’origine, dans la même pièce, pour une fonction différente, mais correspondante, à savoir la nouvelle cuisine.

Ailleurs, les éléments dont la présence a pu être confirmée par les études sont reconstitués (teinte des menuiseries, décor peint « faux marbre » dans la cage d’escalier secondaire, finition de sol, etc.) tandis que ceux dont toute trace a disparu ont été remplacés par des alternatives en harmonie avec les éléments restaurés.

Les témoins qui nous sont parvenus sont autant de marqueurs renouvelés de la vie du bâtiment. Grâce à l’effort conjoint des entreprises et artisans impliqués dans le projet, du maître d’ouvrage, des historiens de l’art ainsi que de l’IRPA et de la Direction du Patrimoine culturel (anciennement Direction des Monuments et Sites), la maison de Saint-Cyr, dorénavant entièrement restaurée, accueillera bientôt un programme partiellement renouvelé, qui assurera la transmission de cet immeuble exceptionnel aux générations futures. La maison se réapproprie une mémoire, diluée par le temps, maintenant à nouveau perceptible au quotidien par les occupants, et de manière ponctuelle par les visiteurs occasionnels. 

Lise Cuykens

Extraits de Bruxelles Patrimoines - Décembre 2018, n°29

Fiche technique

  • ObjetMission complète d’auteur de projet pour la restauration intérieure de la maison Saint-Cyr
  • ProgrammeTranformation en maison d'hôtes
  • DestinatairePrivé
  • Maître de l'ouvragePrivé
  • Surface480 m2
  • DateDe 2015 à 2019
  • LocalisationSquare Ambiorix 11, 1000 Bruxelles
  • 01-2020
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